La vie rêvée de l’ange

Jeune peintre installée aujourd’hui à Marseille, Lynda Deleurence propose une interprétation picturale d’un monde, entre rêve et réalité.S’extraire du réel n’est pas à la portée de tous. La capacité à rêver représente sans doute le dernier verrou qu’aucune dictature ne pourra faire sauter chez un individu. Cette petite fleur qui pousse à l’intérieur des bien né(e), LyndaDeleurence a su maintenir en vie, au gré de la vie et malgré la vie serait-on tenté d’ajouter…

Doublement diplômée (Ecoles des Beaux-Arts de Saint-Etienne et de Paris) et accoutumée au difficile exercice de l’exposition qui dévoile aussi bien les œuvres, l’artiste et la femme qui leur a donné jour, Deleurence assure que ses peintures et dessin sont théâtre où se réclame la tragi-comédie de la vie. Du reste, c’est vrai que cette peinture paraît énigmatique, presque un jeu de rôles, comme si elle se situait entre réalité fictive et hallucination.

« Je souhaite créer des mises en scènes entre le vrai et le rêve, comme par exemple que mes usines deviennent des châteaux contemporains. J’aime assez ce flottement, que le public devant mes toiles se retrouve là où il veut, lui laisser un domaine d’interprétation libre. Il ressort également une inquiétude dans mes œuvres. C’est-à-dire que leur histoire se déroule avant un drame supposé, peut-être parce que j’ai autant le goût du drame que de l’épopée, de l’inquiétude juste avant le drame. Ce qui explique un peu le paradoxe entre les couleurs chaleureuses employées et la mise en scène » précise-t-elle.

Côté technique, l’huile est retenue pour la qualité des couleurs mais l’artiste emploie aussi la cire pour donner un effet calque. Quant au dessin, elle use de pastels gras dilués à l’essence de térébenthine, fait appel à des matériaux moins courants comme le maquillage ou le rouge à ongles et utilise le pochoir pour des fonds à motifs. Les œuvres de Lynda Deleurence sont construites d’après une mise en scène élaborée avec ses propres photographies ou des images qu’elle récupère. Elle travaille généralement avec trois ou quatre modèles, des amies qu’elle choisit pour leur port de tête, la noblesse de leur attitude…et peut-être tout simplement parce qu’elles sont jolies. Celles-ci oscillent entre Lucrèce et Judith, c’est-à-dire entre deux images de la féminité, Lucrèce s’offrant à la mort parce qu’elle avait été abusée et Judith usant de ses charmes pour parvenir à ses fins.

Le travail de cette jeune artiste puise ses références chez Claude Monet, Pierre Bonnard et se reconnaît également dans les paysages colorés bucoliques et empreints de mystères d’un Peter Doigt, peintre contemporain vivant à Londres. « Dans mes œuvres, il y a aussi le hasard à qui je laisse une porte ouverte. J’aime provoquer une situation qui n’exclut pas l’accident, des accidents que je garde ou que je jette. Je m’arrête quand j’ai l’impression que l’image est indépendante et qu’elle fonctionne, c’est-à-dire que la peinture accède à une certaine autonomie ».

En refusant de suivre une mode dictée par un modèle imposé, Lynda Deleurence s’affranchit de certains codes et conserve un propos sincère, celui d’une jeune artiste qui arrache à la liberté ses plus belles couleurs.

Jean Christophe Villa / 2006